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Quelques mots sur la pensée de Georges Bataille

Il fut pour moi une figure importante, sa défiance à l'égard de l'établissement de la philosophie, de l'ordre, de la saintété, en ça, c'est un rappel direct de Nietzsche, ce qui va de soi, Bataille étant un grand lecteur de ce dernier (un ami me disait : la lecture de Bataille était celle d'un littéraire [je pensais qu'il voulait dire, d'une manière honteuse, un esthète], je ne contenste pas, j'affirme même cette optique et la favorise en comparaison avec une lecture philosophique (comme celle de Kaufmann, et en suivant, Heidegger et Fink], on nie pas le génie "philosophique" derrière le corpus nietzschéen, mais pensant : s'il parlait la langue de Hegel, serait-on aussi attentifs à ses mots ?, bref : la parole nietzschéenne tire sa force de sa composition aphoristique).

Dans Bataille, comme dans Nietzsche : On doit abandonner l'attitude utilitarienne, qui cherche une morale à prendre, une instruction à suivre, tous les deux (et on ajoute aussi Blanchot) étaient aux antipodes du manuel d'instruction, la cohérence : leur bête noire (et quelles bêtes noires ils étaient en acharnement avec), l'universel : leur ennemi, pour le dire en termes brefs : Bataille = Nietzsche = "projet" anti-philosophique.

Un jour, demandait un ami (autre que celui évoqué la-dessus) : Quel est la pertinence de la pensée de Bataille dans ton vécu ? à ca je ne pouvais répondre que par balbutiments, c'était une question imprévue, dont je n'ai jamais méditée, savant aujourd'hui que c'était dû à la pensée qui travaillait en moi à l'arrière-plan.... C'est comme ça qu'on fonctionne avec la pensée, elle aime le voile, se dérober (pour employer le vocabulaire batailléen, on note aussi des résonances avec Heidegger et le jeu entre voilement-ἀλήθεια, citant un lecteur de Heidegger : Jean-François Marquet, disant : « Il n'est pas étonnant que l'existence cherche à se dérober et à se cacher devant cet abîme qui est pourtant le seul lieu qui lui permet d'être automatiquement elle-même. »). Mais maintenant, ayant assez de conjuration en retention pour pouvoir dire quelques mots, je vais essayer, dans ce qui suit, de m'élaborer sur les résonances qui existent entre mon vécu, et l'expérience intérieure (l'ensemble du projet de Georges Bataille).

Ma vie est bourrée de monotonies, défaut d'un caractère quasi-introverti, et d'un milieu conservateur bordant une inclination au stricte, les débauches ne me sont pas permis (pas encore, au moins) et mes seuls débouchés, afin d'arriver à l'agitation et la brise du cycle : la littérature et l'amour... On va me moquer, et ça se comprend, les clichés qui envahissent ces deux domaines demandent un long traité dont on n'a pas l'occassion d'en parler ici, je cite seulement qu'une banalisation déprimante assaille ces derniers, mais en eux, je trouve une lueur du sacré. Le monde littéraire, hormis la merde qui se jette aujourd'hui et qui se prend comme "littérature", fut pour moi une jungle vierge qui ne demandait qu'un lecteur qui a l'envie de pénétrer au fond, de puiser tout ce qui gît en cette sauvagerie, c'est pour ça que j'essaie toujours à me lier à ces écrivains où on peut trouver de la fraîcheur dans leur mots, de ce vitalisme regorgeant dont on manque dans nos banalités civiles, d'une attitude prise envers ce monde qui dit toujours : « nul regret, sans répit ».... Miller, Nietzsche, Burroughs et Bataille, pour citer quelques uns, tous ces derniers traitaient de la débauche ou vivaient en elle, dans l'extase, dans une fiévreuse, inépuisable ivresse face à ce monde, en les lisant, des lueurs nous arrachent hors de notre mondanité, de la routine qui nous accapre, et on se trouve jeté, perdu, dans les flots sans-cesse du mot qui saigne, qui se lèse lui-même dans un jeu interminable, qui veut qu'on n'on sort jamais, Bataille le disait à propos de son livre : « J'écris pour qui, entrant dans mon livre, y tomberait comme dans un trou, n'en sortirait plus... » pour moi, c'est une invitation privilégiée, dont je peux me réjouir sans être jugé, remarqué par mon entourage car «imaginaire, donc non-fonctionnel» selon eux. (mais on note, ou bien, on avertit : que ça travaille en nous, et viendrait un jour, où on me voyerai ivre à la limite, couvert d'une sournoiserie répugnante à tous, déclaration contre toute haute-estime).

Passant à l'amour, dont je n'ai qu'une humble expérience, et dont je suis toujours en quête, sans-cesse entreprise pour en approfondir l'effet, le sens en moi, l'expérience, comme témoigne ma situation actuelle, aboutissait dans les deux rencontres qui m'ont été permis, à l'échec (et échec ici est notion relative, une stabilité et une liasion éternelle ne figurent pas dans les registres de tout le monde)....

Je me dévie un peu de mon sujet pour traiter un point dont j'estime important de le dire en passant : qu'une influence importante de la part des filles fut en moi derrière deux choses : la reprise de mes démarches intellectuelles, et l'ancrage de mon Weltanschauung actuel, je me rappelle l'anecdote d'un ami qui me disait que son début dans la philosophie, en particulier avec Nietzsche, était dû au désir de faire impréssion sur une fille dont il admirait, et dont il a remarqué lisant Nietzsche, disant qu'après, la fille n'était plus et la quête dans le monde philosophique continuait, faisant de lui l'homme qu'il est (et dont je respecte et admire) aujourd'hui, j'ai vécu un cas similaire dans ma première année universitaire, voulant impressioner une fille dont j'admirais, et dont mes tentatives de contact étaient voués à l'échec, j'ai repris l'habitude de lire et de m'absorber dans les livres, dont je négligais, et à un certain moment, oubliais totalement l'existence pendant mes années du lycée, en rétrospéctif : son goût était du plus superificiel, et je me suis arrivé à être la personne dont je suis aujourd'hui, au mi-chemin où je demeurerai à jamais, comme tout penseur quand il essaie de suivre sa pensée au bout, l'inducteur n'est plus, la quête continue.

En ce qui concerne mon Weltanschauung, c'était suite à la séparation qui suivait ma première expérience amoureuse (en termes de présence face-à-face et d'intensité, ayant eu déja une relation amoureuse de longue distance avec une jolie Kosovare, qui n'a duré que huit mois, dont la finalité était mal-entreprise, ma faute, mais dont la finalité dernière [après une reprise de contact et une elaboration visant à mettre une conclusion dans l'histoire, en 2023, donc presque deux ans après notre séparation] était claire et sérène) que germait en moi cette intarissable soif de vie, de joie et d'extase. Sachez qu'avant, pendant ma première année universitaire, j'étais un mélancole, je ne voyais dans mon existence que ce qui incite à la haine, à la passivité, au languissement et la pourriture, je portais cette attitude avec moi dans la relation, et ayant rencontré une mélancole, ça faisait double-effet, c'était suffoquant, et suite à l'émergence d'une myriade de problèmes dont l'évocation serait trop longue et ne servirait nullement notre propos, on se s'est séparé, dans un chagrin mêlée d'une haine inassouvissable, je portais en moi (et je le porte encors, quoique l'objet dont je ciblais n'est plus qu'une occurence dépassée) la mission d'être l'antipode de ce qui fut Elle, à être tout ce dont elle se situait contre, de la vaincre dans mon imaginaire, en étant tout sauf ce qui compose Elle, donc vitalité, énergie, virulente soif vers une annihliation qui n'est nullement celle du mourrant qui s'abandonne à sa mort, épuisé et vaincu, mais d'une accélération mêlée de rire, d'extase et de folie foudroyante face à mon supplice, je me souviens de l'épisode fiévreuse que j'avais contracté quelques mois après notre séparation, j'émettais un délire dont je me rappelle pas le contenu, mais dont j'en suis sûr étant dirigé vers Elle, des maudissements de toutes variétés s'installaient en moi, un torrent sans fin m'émouvait contre elle, une rage, ne voyait que la merde dans tout ce qui me liait auparavant à elle, ça durait quelques heures, j'écrivais quelques délires (innocents face à la tempête qui s'agitait en moi) et je me vouais à la mondanité qui régnait sur mes journées d'été.

L'amour, faut dire les délires d'émotions qui l'entourent, c'est un autre échappatoire vers la folie et le vertige, je l'estime plus émouvant que le livre-trou, mais peut-être c'est juste faute d'actualité, manque d'amour. Et je ne me diverge pas de l'honnêteté quand je dis que j'évoque seul l'amour érotique et lui seul, toutes les autres formes d'amour, sois j'en ai assez, sois je m'en sers pas (ou plus). L'érotisme, autre thématique qui parcours le corpus batailléen (n'ayant pas oublié ma vocation initiale, je pense que la pertinence est maintenant claire à vous) mais que je ne peux y accéder que par l'entreprise du marriage, cette sublimation qui perd de sa puissance de plus en plus à nos jours, qui semble de plus en plus éloignée, laissant la jeunesse dans une impasse entre transgression de la loi islamique interdisant la débauche sexuelle, et une impossiblité de conclure dans le "7lal" qui n'est qu'un ersatz du sacré, chose dont il faut pas se détourner, car la défaillance est partout, les systèmes s'écroulent et il faut savoir surmonter le tigre, ET SE NOYER VOLONTIERS DANS LA VAGUE ÉCRASANTE, ou bien dans l'imaginaire, dont j'essaie de soustraire l'élement pornographique (et je précise en disant, de la pornographie manufacturée et hyperréelle) ne laissant que l'érotisme, là où les limites s'effacent et un instant de l'inséparable se dévoile devant nous.